[CHRONIQUE BD] The Grocery – Aurélien Ducoudray et Guillaume Singelin
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Aurélien Ducoudray et Guillaume Singelin, soit deux piliers du label 619 et du Tarantinesque magazine Doggybags au crédo pulp « Frisson, Suspense & Horreur » assumé, unissent leur force et leur talent respectifs pour hurler à la face du monde leur amour de la série culte The Wire.
Comme son illustre prédécesseur, The Grocery (pré-publiée en quatre tomes compilés dans cette intégrale) prend pour point de départ la vie des cornerboys de Baltimore, ces gamins qui vendent de la dope au coin des rues sans plus d’états d’âme que si c’était des bonbons.
L’histoire se concentre d’abord sur la bande de Sixteen qui squatte devant l’épicerie kascher où vient de s’installer le père d’Elliott, notre héros boiteux, même pas capable de porter une casquette avec ses yeux de têtard, mais champion de spelling contest (ce jeux très populaire dans les écoles primaires et les collèges américains qui consiste à épeler des mots de plus en plus compliqués), pas mauvais non plus pour tenir la caisse et compter les dollars ; facultés qui lui serviront à incorporer le « gang », bien innocent au regard des vrais durs qui croiseront leur route: caïd rescapé de la chaise électrique, maras latinos, Fraternité aryenne des suprémacistes blancs ou vigilante minutemen égarés en zone urbaine.
Le développement du récit finit par construire une véritable épopée sociale, marquée par de vrais drames et de profonds déchirements, truffée de séquences d’action pouvant allègrement verser dans l’ultra-violence et le gore, en contraste total avec l’allure cartoonesque des personnages mi-Muppets punks à la Tramber & Jano, mi-animaux mutants à la Dave Cooper, dans la grande tradition des animaux humanisés.
Très cinématographique, la série se déroule pendant la guerre en Irak (un des personnages principaux est un vétéran qui fait son retour au pays), mais on y retrouve déjà les effets de la gentrification au bulldozer, de la privatisation de la sécurité civile et de la crise des subprimes. C’est ce qui fait toute la richesse de The Grocery, comme de The Wire, une vision éclatée et panoptique de la société américaine à travers le point de vue de l’ensemble des citoyens d’un quartier et d’une ville.